Un artiste pluridisciplinaire
Ghass avait 15 ans lorsque la révolution a commencé. Comme pour tous les jeunes garçons de son âge, la guerre était inévitable. Il passe deux ans de sa vie en première ligne. Un an après la fin de la guerre, il décide de partir pour Paris où il espère exorciser les images de guerre qui ont tant imprégnées sa jeunesse. Il n’est jamais revenu. C’était en 1989.

Ghass, reconnu pour son art mais également pour ses engagements, aime surprendre et bousculer les codes du marché de l’art.

Artiste pluridisciplinaire, il s’adresse au grand public à travers des supports d’expression variés telle la peinture, le dessin ou encore la sculpture. Pour lui, l’art représente un pont qui lie les Hommes entre eux à travers le passé, le présent et le futur et permet de transmettre un message de manière universelle.

Thomas Schlesser, historien de l’art et directeur de la Fondation Hartung-Bergman

Chez Ghass, la création relève d’un ressort profond, d’une nécessité : on sent dans sa peinture une urgence, celle de donner des formes (ce qui n’est pas forcément donner forme) à sa vision du monde.

Devant une œuvre, quoi de plus terrible que de constater, le front plissé par la déception, que l’artiste n’avait rien à dire ? Il n’y a pas de conclusion plus amère : une parcelle d’espace – plastique, littéraire, musical, cinématographique… – se trouve occupée par quelque chose et cependant pour rien. Bien pire encore, on comprend souvent que l’auteur d’un tel désastre croit donner de lui-même et faire part de créativité. Il s’illusionne. Car il ne fait que prendre au spectateur – temps, énergie, argent – en le dupant avec des fadaises décoratives, ludiques, divertissantes, vagues et vaguement jolies.

Mais Ghass a connu la guerre, la violence et sa peinture également.

Oui : son esthétique est par moment viscéralement travaillée par la barbarie. Pour certains fantômes mondains qui hantent les vernissages, voilà qui n’est sans doute qu’un détail, qu’une anecdote : lequel, parmi eux, pourrait imaginer ce qu’est le goût du sang au fond de la gorge ? Pourtant, Ghass est d’abord cela, un Janus passé du spectacle affolant des armes à celui des arts. Et le spectacle qu’il offre en retour dit beaucoup.

Ce trajet n’est pas commun, bien qu’il se soit malheureusement banalisé au fil des siècles, les conflits gagnant souvent plus vite du terrain que les paix. La Première Guerre Mondiale a ainsi vu s’épanouir, comme des fleurs sur des cendres, les plus grands poèmes – ceux d’Apollinaire – et de très grands artistes comme Otto Dix, Marcel Gromaire, Henry de Groux. Ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres.

De la mort à la vie, du désespoir à l’avenir, de la destruction à la création, la transition de la guerre à l’art est bien sous le signe de Janus, le dieu romain à deux visages. Pour redonner, dans l’épure du noir, du rouge et du blanc, avec une profonde économie de moyens, l’horrible écho de la violence, il faut un travail acharné, consciencieux et toujours recommencé. C’est cette vive impression que procure, de manière salutaire, l’œuvre de Ghass. Non : il n’est pas utile de trop en mettre pour faire passer une vision oscillant du chant des bombes aux cris du cœur.

La tension entre une simplicité des moyens et la saturation des sens, multiples, parfois conflictuels comme la vie même, confère à la peinture de Ghass sa singularité. Cette tension atteste aussi, sous l’apparent dépouillement, une complexité souterraine où les vérités ne sont que des brouillons, où les traits zigzaguent, et où, toujours, l’invisible cherche à s’afficher, le visible à s’effacer. Ghass dit beaucoup dans son œuvre et ce n’est pas sans peine que nous l’écoutons car, là où certains croient qu’un point de vue pontifiant suffit à clore les débats, il questionne sans cesse. Sa peinture est, comme l’écrivait Roland Barthes : « ce très fragile langage que les hommes disposent entre la violence de la question et le silence de la réponse. »